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CLEAC'H Fañch
CLEAC'H François
Oh!Le sale petit Breton !
« Tu sais Fanchig, nous sommes des pauvres!Paour ! Paour! » me martelait, dès mon plus jeune âge, ma mère qu , en tant que veuve, sans secours d'aucune sorte, luttait tous les jours pour nous assurer de survivre en ces années précédant la dernière guerre en 38-39.
En effet, il manquait toujours le nécessaire dans notre misérable pièce en terre battue de Beg-Minez à La Forêt-Fouesnant où nous vivions, mon frère Robert et moi , avec ma mère Caroline qui s'échinait tant en dures journées dans les fermes ou en éreintantes heures de ménage avant d'aller connaître la pénible vie des ouvrières d'usine à Concarneau.
Très tôt, j'ai donc eu une conscience vive de notre basse condition sociale aggravée en plus par notre état de petits « ploucs »bretonnants attirant le mépris des habitants des bourgs et des francophones de Concarneau plutôt que leur compassion.
La guerre et l'occupation furent une période douloureuse entraînant de graves pénuries diverses et surtout alimentaires et générant pour mon frère et moi des carences ...Ce qui me sauva, je crois bien, et mit fin à mes douloureux furoncles des jambes et du cou dont je porte encore les larges cicatrices, fut le bol de lait quotidien de cette brave et généreuse vieille Chan,notre voisine.
Néanmoins, dès mes quatre ans, mes occupations journalières tournèrent autour de la recherche alimentaire et bientôt je mis à contribution toutes les ressources que m'offrait les paysages environnants de cette belle campagne forestoise.
Tout m'était bon pour essayer de calmer ma faim habituelle : prunelles, fruits de toutes sortes souvent encore verts maraudés dans les vergers, tiges vertes de colza ou d'oseilles et tout ce que la généreuse nature nous offrait en automne...
L'entrée à l'école en 1941 à Pâques fut pour moi une ouverture génératrice d'espoir. En effet, le travail imposé par notre brave maître M.Douget me convenait parfaitement et j'y pris vite un grand plaisir. La lecture me procura bientôt des joies intenses jamais envolées depuis et mon imagination y puisait des heures de grande félicité malgré la dureté des temps.
Au CE2,en 1943,mon frère et moi , fûmes des réprouvés au fond de la classe en raison des poux et de notre aspect misérable. Ce qui provoqua en moi non seulement le rouge de la honte mais un réflexe de révolte contre la maîtresse, entraînant aussi une sorte de pulsion d'orgueil pour réussir mieux que les autres.
Je pensais ingénument à 9-10ans que le catéchisme et tout l'espoir d'une vie meilleure qu'il distillait allait m'apporter une aide salutaire.
Hélas !
Lors de la préparation de ma première communion, j'en étais arrivé à déjà désespérer de la religion qui me semblait trahir les belles espérances du catéchisme en favorisant les mieux lotis de la vie qui possédaient argent et biens.
Je m'aperçus alors que pour vivre heureux dans cette société et échapper à la pauvre place que la religion m'assignait en ce bas-monde, il fallait parvenir à s'approprier le mieux possible ce savoir francophone qui assurait considération et respect...
Mais alors, Le sale petit Breton que j'étais, devait-il abandonner cette belle langue bretonne que M.Douget, ce bon maître, m'avait interdit déjà de parler en classe en me tapant à de nombreuses reprises et avec force sur le bras ?
Devais-je me persuader que mon cher grand-père Tin ,rescapé de 14-18, et que j'admirais et qui ne connaissait que le breton, parlait une pauvre langue dévaluée et un peu malfaisante en quelque sorte ?
A cette époque après la guerre, une envie de tout changer, d'oublier le vieux temps et de se débarrasser du « mod kohz »(vieux usages) fait littéralement chavirer les têtes; tout y passe : meubles, coutumes, habits et même la pratique de notre langue bretonne tenue de plus en plus pour un signe d’arriération...
J'assiste éberlué à ce naufrage culturel et je ne suis pas loin de donner raison à ce vent nouveau car il s'accompagne dans tous les domaines d'une amélioration des conditions de vie.
En même temps à l'école, je baigne dans le bonheur. Mon instituteur de cours moyen, M.Le STER, est un homme remarquable et un pédagogue de grande qualité.
Quels progrès pour tous dans sa classe !
Il arrive à convaincre ma chère mère de tenter l'examen d'entrée en 6ème à Quimper et me voilà lancé dans un parcours très divergent de celui de mes camarades de Beg-Minez voués le plus souvent, dès 14 ans, au dur travail agricole ou à l'apprentissage d'un métier.
Au Collège Moderne de Concarneau, je mesurerai très vite le privilège de faire quelques études et, pour la première fois pour des jeunes dans l'histoire de ma classe sociale, de bénéficier d'une véritable adolescence..
Quelle orientation adopter ?
Incontestablement, j'aimerais aider mon entourage rural et la médecine serait pour moi la voie la plus utile pour soulager les nombreux maux physiques dont pâtit cette population au service des autres, qui travaille dur et subit par trop les dommages d'une mauvaise alimentation, aggravée par le manque d'hygiène et les ravages de l'alcoolisme.
Je n'ai pas-hélas! les moyens matériels de faire ces études et ma mère parvient à me convaincre «d'être sous l'Etat ».
Pour elle, être instituteur c'est le Graal, la réussite parfaite pour le fils d'une ouvrière d'usine !
Ainsi, j'embrasse en 1954, le métier d'enseignant en Sarthe après un concours d'entrée pour bacheliers à l'Ecole Normale du Mans.
Malgré mon absence de vocation, je pris assez vite goût à ce métier et je m'y employais à rendre à l'École Publique tout ce qu'elle m'avait donné.
Ce n'est qu'arrivé à la retraite que mon existence de petit Breton refit surface et ainsi, il me prit, un jour en 2004, l'envie d'en tracer les grandes lignes pour mes proches à qui je n'avais guère fait de confidences, durant mes années d'activité, sur cette enfance difficile, à une époque noire de notre Histoire.
Ainsi, poussé par mon épouse et mes enfants qui goûtèrent bien mon récit, j'eus la chance d'approcher ce cher Yoran qui décida promptement en 2005 de m'éditer.
J'ai voulu rendre d'abord hommage à ma chère mère dont l'existence fut si difficile ainsi qu'à mon bon maître M.Le Ster et à l'école publique sans oublier cette culture bretonne si malmenée ainsi que cette vaillante population bretonnante rurale et sa noble langue dont se gaussaient (et se gaussent encore de nos jours!) tant les cercles dirigeants parisiens.
Oui ! Cette France d'en bas, ces gens dont on ne parle jamais si ce n'est que trop parfois avec dédain quand ce n'est pas avec mépris, j'ai désiré rappelé leur mémoire et leur donner la parole …
J'ai été surpris de la résonance de cet ouvrage sur les nombreux lecteurs de condition et d'origine différentes, tant en Bretagne qu'en Sarthe, et lors de mes nombreuses séances de dédicace, le retour des lecteurs fut une de mes grandes satisfactions de ces dernières années et leur demande concernant une suite fut constante et parfois pressante.
Aussi ai-je décidé en 2015 de narrer toutes mes années de lycée de 1947 à 1954 à une autre période, plus favorable où l'envie d'oublier les malheurs de la guerre jointe à un essor économique conséquent fut la cause de changements importants dans la vie et la société. Ces années charnières des années 50 ont été parfois peu racontées malgré leurs effets très importants sur l'évolution de l'existence dans notre belle Cornouaille côtière bretonne en raison du boom touristique.
Yoran Embanner , toujours aussi serviable ne rechigna aucunement à éditer ce deuxième récit qui accomplit aussi, bien qu’avec moins de réussite que le premier, son rôle de témoignage d'une époque remarquable.
Enfin, durant le confinement de l'an passé, obéissant à de nombreux collègues enseignants, j'entamai le récit de ma vie d'enseignant breton en Sarthe et je termine maintenant cet ouvrage -Un pédago breton au cœur de la Sarthe- dont j'aimerais que Yoran Embanner assure l'édition.
Ma trilogie trouverait ainsi sa place dans le catalogue varié et si méritant de défense de la culture bretonne que Yoran Embanner, avec tant de constance, s'évertue malgré bien des difficultés,à promouvoir sans relâche.
François Cléac'h ,ce 30mai 2021
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Le Sale Petit Breton, de Fañch CLEAC'H
Années de pensionnat en Cornouaille de 1947 à 1954.
Deuxième volet d'une trilogie.
Un témoignage passionnant et émouvant des années d'après-guerre dans une Bretagne en quête de « modernité ».
Retrouvez la première partie "Oh, la sale petit Breton" de 1940 à 1950.
Oh! Le sale Petit Breton de Fañch CLEAC'H
Une enfance bretonne en Cornouaille.
Édité pour la première fois en juin 2006, le récit de l'enfance de Fañch Cléac'h a déjà passionné plus de cinq mille lecteurs. Sans doute, beaucoup d'entre eux y ont-ils reconnu en de nombreux points, leur propre jeunesse.
Deuxième volet à lire également : Le Sale Petit Breton de 1947 à 1956.