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HART Marie
Marie Hart (1856-1924)
En 2016, Yoran Embanner publie le roman Nos années françaises de Marie Hart.
C'est un évènement, car dès sa sortie en 1921, cette œuvre écrite en alsacien a été interdite par les autorités françaises. Seuls quelques historiens et amateurs la connaissent encore. L'histoire, basée sur le vécu de l'auteur, montre la « libération » de l'Alsace en 1918 sous un jour qui ne convient pas du tout au régime parisien.
Yoran propose les deux versions aux lecteurs : l'originale Üs unserer Franzosezit et sa traduction Nos années françaises.
Voici l'histoire de cette auteur très populaire en son temps.
Marie Hart est née Marie (Anne) Hartmann le 29 novembre 1856, à Bouxwiller. Elle est la seconde fille du pharmacien Louis Hartmann et de sa femme Emilie, née Weber, qui auront sept filles et un garçon.
Toute sa vie, Marie Hart se souviendra avec tendresse et bonheur de ses jeunes années passées à Bouxwiller, l’ancienne capitale du Hanauerland qu’elle rebaptisera Dachswiller et qui lui servira de cadre pour ses récits, nouvelles et souvenirs.
La guerre de 1870 bouleverse cette petite vie paisible. Début août, les canons tonnent du côté de Woerth. Le père Hartmann, grand patriote, et toute sa famille espèrent une victoire française, mais c’est une armée en déroute qu’ils voient passer sous leurs fenêtres. C’est un déchirement, la fin d’une époque, « ’s End vom Stillewe » écrira Marie Hart, des années après.
En 1872, elle entre à l’école normale de Strasbourg et, deux ans plus tard, est reçue à l’examen de fin d’études qu’elle passe à Nancy. Après un bref séjour dans sa famille, elle part occuper un poste d’institutrice dans un pensionnat pour jeunes filles à Dresde. Elle y restera deux ans avant de revenir à Bouxwiller pour seconder sa mère. De cette époque datent ses premiers travaux d’écriture, quelques contes et nouvelles, en français et en allemand, ainsi qu’un journal.
En 1881, à Lutzelhouse (vallée de la Bruche), dans la famille du Dr Charles Hartmann, elle fait la connaissance d’un certain Alfred Kurr. C’est le coup de foudre ! Mais si l’homme est cultivé, riche, de belle prestance, il est aussi ancien officier, de quinze ans son aîné et divorcé ! Malgré l’hostilité de son père (un officier allemand !), de sa mère (un homme divorcé !), Marie s’obstine et obtient gain de cause.
Le mariage est célébré le 7 octobre 1882 à Neuwiller ; la mère de la mariée n’y assiste pas ! Peu après, le couple s’installe à Mellau, dans le Vorarlberg (Autriche), où Alfred Kurr possède une ferme et une chasse aux chamois. Mais sa jeune épouse supporte mal le rude climat de haute montagne. De plus, la ferme qu’ils occupent est une bâtisse en bois dépourvue de tout confort. Au bout de trois ans et autant de fausses couches pour Marie, les Kurr reviennent en Alsace.
En 1885, ils s’installent à Lutzelhouse.
Alfred Kurr, qui vit de ses rentes, passe le plus clair de son temps à la chasse.
Le 2 février 1892, Marie Hart donne naissance à une fille prénommée Charlotte. Soucieuse de l’avenir de son enfant, elle insiste auprès de son mari pour qu’il se trouve un travail. Agriculteur de formation, celui-ci achète une ferme (le Binderhof) située à Hagen, un hameau dépendant de la commune de Freilassing, en Haute Bavière, près de Salzburg (Autriche). Il y entreprend aussi la construction d’une villa pour loger sa famille.
Marie Hart est heureuse à Freilassing : la petite bourgade, grâce au chemin de fer, est en plein essor ; Salzburg, ville d’art et de culture, n’est qu’à quelques kilomètres, sans parler des splendides paysages du Berchtesgadenland. Elle recommence à tenir un journal, prend des notes, s’enhardit, esquisse quelques nouvelles. Mais elle n’est pas satisfaite : le Hochdeutsch, tout comme autrefois le français, ne lui permet pas d’exprimer pleinement ce qu’elle ressent. C’est en alsacien, le dialecte de son enfance, qu’elle va écrire ses « G’schichtlen un Erinnerungen üs de sechziger Johr », à la fin des années 1890.
Mais ce bonheur n’a qu’un temps.
A peine quelques années plus tard, Alfred Kurr, certainement à la suite de spéculations hasardeuses, est obligé de revendre ses biens l’un après l’autre. En 1907, à Strasbourg, paraît une pièce de théâtre signée Marie Hart : D’r Stadtnarr. A Freilassing, les affaires des Kurr ne s’arrangent pas, bien au contraire. La même année, ils sont obligés de louer des chambres de leur villa.
En 1908, leur situation est désespérée. Alfred Kurr refuse de recevoir les huissiers chargés de la liquidation de ses biens. Pour sauver l’honneur, il propose à sa femme et à leur fille de 16 ans un suicide collectif ! Mais Marie Hart s’y oppose farouchement. D’après Charlotte Kurr, sa mère, jusqu’au bout, ignorait la gravité de leur situation financière.
Grâce au soutien de quelques unes des sœurs Hartmann, les Kurr peuvent revenir en Alsace et s’installer à Bouxwiller. Pour subsister, Marie Hart ouvre une pension pour collégiens. C’est une période très difficile pour elle, qui travaille du matin au soir, tandis que son mari, dépressif, ne lui est d’aucun secours. Mais peu à peu elle remonte la pente. Elle trouve même la force, à plus de 50 ans, de se mettre à l’étude du grec et du latin, afin de pouvoir aider ses jeunes pensionnaires.
En 1911, c’est enfin l’embellie.
Par l’entremise de Friedrich Lienhard, écrivain alsacien très en vogue alors, l’éditeur Greiner & Pfeiffer de Stuttgart fait paraître ses « G’schichtlen un Erinnerungen üs de sechziger Johr », écrits 12 ans plus tôt, à Freilassing. Les critiques sont élogieuses. Pour Marie Hart, cette reconnaissance est un véritable bain de jouvence et un encouragement à poursuivre dans cette voie.
Dès 1913, toujours chez le même éditeur, paraît « D’r Herr Merkling un sini Deechter », l’histoire d’un Alsacien très francophile, après la guerre de 70, dont l’une des filles épouse un Allemand. Une histoire que Marie Hart ne connaît que trop bien ! A la fin, l’arrivée d’une petite fille réconciliera toute la famille. Malheureusement, cette réconciliation franco-allemande, que Marie Hart appelle de ses vœux, n’est pas à l’ordre du jour. Quelques mois plus tard, la guerre éclate...
En 1914 paraît « D’r Hahn im Korb », ouvrage regroupant quatre nouvelles. Marie Hart est de plus en plus sollicitée. De nombreux journaux et revues lui réclament des récits, des poèmes. Mais en temps de guerre la vie est dure, les privations nombreuses, le manque de vivres chronique. C’est seulement pendant les vacances scolaires de ses pensionnaires qu’elle trouve un peu de temps à consacrer à l’écriture.
A la fin de la guerre, les nouvelles autorités créent les fameuses Commissions de triage.
130 000 personnes sont expulsées. Parmi elles, Alfred Kurr. A Bouxwiller, comme ailleurs, certains opportunistes profitent de ce climat délétère pour régler des comptes personnels. Rejetée, calomniée, écoeurée, Marie Hart finit par rejoindre son époux à Bad Liebenzell, en Forêt-Noire, où celui-ci a trouvé refuge.
Très affectée par ce déferlement de haine, elle écrit « Üs unserer Franzosezit », une chronique sans complaisance qui raconte son douloureux vécu, depuis les derniers mois de la guerre jusqu’à son départ pour l’Allemagne. Ce livre, qui paraît en 1921, connaît un grand succès, malgré le fait qu’il soit censuré en Alsace, comme l'est le « Gizhals » (une traduction de L’Avare de Molière) qu’un théâtre alsacien avait commandé à Marie Hart mais qui ne sera jamais représenté.
A Bad Liebenzell, où deux de ses sœurs l’ont rejointe, Marie Hart tient une pension pour écoliers et curistes.
Son dernier ouvrage, « Erinnerungsland », paraît en 1923. Les écrits tardifs de Marie Hart expriment sa souffrance d’exilée. Si la nostalgie de sa chère Alsace, son Heimweh, reviennent tout au long de ses ultimes poèmes, elle sait aussi croquer d’une plume alerte quelques savoureux portraits d’Alsaciens, experts en retournement de veste, et dénoncer la politique répressive de la France envers la langue et la culture alsaciennes.
Marie Hart décède à Bad Liebenzell le 30 avril 1924.
En 1930, sous la direction de sa fille, Charlotte Kurr, paraît un dernier ouvrage, Üs minre alte Heimet, composé de textes et de poèmes de Marie Hart parus dans diverses revues. Ce livre, en même temps que la réédition de ses œuvres complètes, est publié à Berlin par Bernard & Graefe.
Raymond Piela
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