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LIGOZAT Gérard

LIGOZAT Gérard.

Confessions d'un ci-devant patoisant

Si j'ai bien compris, l'occitan, c'est la langue parlée dans le sud de la France, des Alpes à l'Atlantique. Mais le « vivaro-alpin », qu'es aquò ?, comme on dit chez vous ?

Et bien, c'est ce que l'on appelait jusqu'au milieu du siècle passé « le provençal alpin ». Mais si l'on utilise le terme « provençal » comme se rapportant au parler de la Provence, on ne tient pas compte du fait que cette variété d'occitan est parlée également en Vivarais, en Auvergne, dans le comté de Nice et dans le Piémont italien.

Et vous, qu'avez-vous à voir avec tout cela ?

Je suis né à Gap, au centre de ce domaine vivaro-alpin de l'occitan. Ma famille paternelle y est présente, dans la même commune (et la même ferme !) haut-alpine depuis le XVe siècle. Ma mère, elle, était d'une famille habitant à une quarantaine de kilomètres de là. Dans les deux fermes, la langue occitane était la langue de tous les jours, dans laquelle mes parents s'adressaient à leurs pères et mères – en les vouvoyant.

Je vais vous faire un aveu : j'ai fait partie des ignorants qui ont fait des efforts pour dissimuler leur héritage linguistique, par exemple en faisant de leur mieux pour perdre leur accent en français. Au lycée de Gap, j'ai eu l'occasion d'avoir comme professeur Paul Pons, dont je sais maintenant qu'il était Majoral du Félibrige, et qu'il donnait des leçons de provençal, mais ni moi ni a fortiori mes parents ne nous sommes montrés tant soit peu intéressés. Apprendre le patois ? Pourquoi faire ?  

J'ai quelque scrupule à exprimer les choses de cette manière, mais les langues vernaculaires sont encore  dans la société française comme les parties intimes chez un individu. On les dissimule, si l'on n'est pas dans l'intimité ; on en a honte (parties « honteuses »), et il faut être mis en confiance pour les révéler, et pour cela se retrouver dans un contexte où les dévoiler peut être acceptable.  

Pour mon père, le contexte était le milieu du travail.
Avec ses clients paysans, c'est en occitan qu'ils traitaient, et une fois l'affaire conclue – quand avián fach la pacha, c'est toujours l'occitan qu'ils employaient pour discuter le coup – blagar un pauc – en buvant un « canon » dans le café d'à côté. Du reste, bien que n'étant pas très porté sur la religion, mon père allait régulièrement assister à des messes en provençal, dans les « Basses-Alpes », pour y écouter les sermons en provençal. Il disait que c'était un peu différent du patois, mais qu'il comprenait tout.

Pour ma mère, le contexte de notre famille était encore trop ouvert.
Lorsqu'elle était amenée et surprise à employer l'occitan, elle traduisait son embarras, comme elle l'aurait fait lors d'un propos salace – par un rire gêné. 

Et pour nous autres enfants qui entendaient cette langue minorisée, qui la comprenaient mais ne la parlaient jamais, cela faisait partie des faiblesses de nos parents, de leurs côtés peu glorieux que l'on dissimulait soigneusement, comme une maladie honteuse. Et souvent, les enfants ont tendance à se protéger de cette maladie qui, s'il n'y prennent garde, menace d'être visible à l'extérieur. Et de les minoriser eux aussi.

Pour moi, le garçon de la ville, lorsque j'ai eu dix ans, je suis embauché pendant les grandes vacances comme « commis » dans une ferme du Gapençais. Mon travail : garder le troupeau, une quinzaine de vaches laitières, les emmener dans les pâturages vers cinq heures du matin, les surveiller, les faire se déplacer dans l'alpage, et les ramener à l'étable le soir (les journées sont longues en cette saison !) Dans cette ferme, l'occitan est la langue « par défaut », la langue employée pour le travail et les choses sérieuses, et je dois commander ma chienne en lui donnant des ordres en « patois » moi aussi. Je m'acculture rapidement, je dois dire. 

Lorsque j'ai vingt ans, changement de décor.
Je suis étudiant à Paris. Lors d'une conférence sur l'occitan à laquelle j'assiste, on me pose la question : « E tu, d'ont siás ? » Moi : « Ieu, siáu dau Daufinat ».
Mon patois, ce serait donc de l'occitan ? 

Mais j'ai alors la possibilité et les moyens d'acheter et de lire des livres dans les librairies qui fourmillent à l'époque dans un Quartier Latin qui porte encore son nom avec raison. Je lis, entre autres, « L'esprit des littératures romanes » d'Ezra Pound et découvre l'adoration que porte son auteur à la littérature occitane médiévale, mère selon lui de toutes les littératures romanes. Et, grâce à des revues littéraires, je découvre qu'il existe une littérature occitane contemporaine qui mérite d'être lue au même titre que d'autres littératures. J'apprends les noms de Jean Boudou, de Robert Lafont, de Max Rouquette. Je lis leurs œuvres avec ce qui, je le reconnais, s'apparente à de la voracité. Toute une culture cachée se révèle à moi, dont j'étais sans le savoir partie prenante :  mon père, ma mère, mon frère, ma sœur et moi-même avions donc une compétence linguistique dont nous n'avions pas conscience.

L'année 1968 arrive, avec le surgissement de la poésie de combat et de la chanson occitane.
À côté des revues et des livres, il y a maintenant des disques : je découvre que je comprends la langue parlée ou chantée, fût-elle d'un dialecte éloigné du mien, et que j'ai un même plaisir à entendre toutes les variétés de cette langue. Je deviens trésorier de la section parisienne de IEO, qui organise cours, soirées dansantes, et même festival occitan. Je m'aperçois que même dans le métro parisien, il suffit de mener une conversation en occitan pour que souvent un passager qui parle occitan se manifeste. 

Mais à Paris, à moyen terme, les gens viennent et souvent, « redescendent » s'ils en ont la possibilité. Les associations – occitanistes ou félibréennes – ont des niveaux fluctuants. Le métier et la famille ont aussi leurs exigences en temps et en énergie. Le reflux est général et sévère après 1981. 

Cependant, le principe de la défense des langues minoritaires fait son chemin malgré les obstacles que lui opposent l'ignorance et le mépris. Lorsqu'une nouvelle génération n'est plus atteinte par la peur de la contagion d'un patois, elle est prête à considérer les langues autochtones de France sur le même pied que le français ou l'anglais. Et à ne pas trouver scandaleux l'énoncé de vérités bien établies : par exemple que le français officiel, le français des dictionnaires, est une langue importée dans la plus grande partie d'une France qui parlait soit des langues différentes, telles que le breton, le basque, l'alsacien, le flamand, soit des dialectes de la langue française, comme le picard ou le normand.

C'est dans cet esprit que la traduction d'histoires du Petit Nicolas dans toutes les « langues de France » m'a permis d'apporter ma contribution pour l'occitan vivaro-alpin, puis de publier en 2020 le premier manuel d'apprentissage du vivaro-alpin grâce à Yoran, dont je salue ici le dynamisme et l'esprit d'ouverture.

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Gérard LIGOZAT
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